KOSOVO

Publié le par Lux

LE KOSOVO ARRACHÉ À LA SERBIE

Pire qu’un crime, une faute

 

 

Par Gilles Varange

Politique magazine   n°61  Mars 2008

 

 

Par abrutissement idéologique autant que par soumission à Washington, les dirigeants européens se sont engagés dans une voie lourde de périls.

 

  Evènement d'une redoutable portée historique : avec la proclamation de l'indépendance du Kosovo le 17 février dernier, pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, un État européen souverain vient d'être amputé d'un de ses territoires - sa province la plus ancienne et la plus sacrée - par une coalition de puissances n'ayant que la loi du plus fort pour justification. Et le sort aura voulu que cette effrayante régression diplomatique, attentat à la fois contre la justice et contre le droit, ait été organisée et planifiée de concert par les États-Unis et les principaux pays « démocratiques » européens qui s'estiment autorisés à délivrer des leçons permanentes de morale internationale au reste du monde.

 

 

Quand l'emporte le critère de

 la « majorité ethnique »

 

   Dans cette affaire, le crime perpétré contre la justice est aussi cynique qu'éclatant : si les Albanais constituent aujourd'hui la majorité écrasante (90 %) de la population du Kosovo, ce n'est pas seulement en raison de leur démographie galopante. C'est surtout pour y avoir pratiqué impunément une implacable épuration ethnique (massacres, incendies, viols collectifs) pendant plus d'un demi-siècle. D'abord à la faveur de l'occupation mussolinienne de l'Albanie et du Kosovo au début des années quarante. Puis, durant le régime communiste, en prenant appui sur l'hostilité sournoise du Croate Tito à l'égard de la République de Serbie qu'il jugeait trop puissante au sein de la fédération yougoslave.

 

Cependant, pour que la suprématie albanaise devint totale, il fallut, à partir de 1999, le proconsulat onusien du bon docteur Kouchner : 200 000 des 320 000 derniers Serbes restés accrochés au Kosovo le quittèrent précipitamment, affolés par les exactions sans nombre menées par les albanophones musulmans dans l'indifférence des forces de l'Otan. D'où ce suprême paradoxe : la sécession du Kosovo aura été encouragée et justifiée au nom de considérations ethniques par des Occidentaux qui proclament l'inéluctabilité universelle du multiracialisme et du multiculturalisme ! Il serait difficile de bafouer de manière plus ostensible les principes auxquels on feint de croire...

 

Pire encore que ce crime contre la justice est le coup mortel porté par les Occidentaux au principe le plus fondamental du droit international : celui du respect de l'intégrité territoriale des nations. Dans l'accomplissement de pareil méfait, lourd de conséquences imprévisibles, Américains et Européens ne peuvent pourtant se prévaloir de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le Kosovo.

 

Au mépris du droit international

 

Celle-ci ne leur reconnaissait d'autre mission que « le retour à la paix civile, le rétablissement de l’autonomie telle qu’elle  a existé avant 1989 (date à laquelle le président Slobodan Milosevic en avait décidé la suppression) et la mise en place d'une auto-administration »sur la plus vieille des terres serbes.

 

Les Occidentaux sont d'ailleurs tellement conscients d'avoir largement outrepassé le cadre de leur mandat qu'ils n'ont pu faire autrement que de s'empêtrer dans une argumentation des plus spécieuses.   Avec un rare mépris du ridicule, on les a vus tenter en effet d'expliquer, dans le grand immeuble de verre de New York, que l'accession du Kosovo à l'indépendance était appelée à demeurer un cas unique et qu'elle ne remettrait donc pas en cause les principes de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des nations. La chose a même été présentée comme parole d'Évangile : cette indépendance « ne pourra constituer un précédent pour d'autres mouvements séparatistes dans le monde ». C'est dire qu'on aura rarement vu dans une arène diplomatique tant d'impudeur conjuguée à tant de mauvaise foi.

 

 

 

Un durable et puissant front du refus

 

   Le drame est que cette démonstration emberlificotée n'a pas même réussi a convaincre la totalité des Occidentaux ni des membres de l'Union européenne. Tous ceux qui sont menacés, à domicile, par des sécessions ethniques, linguistiques ou religieuses ont bien compris de quelle boîte de Pandore ils étaient invités à soulever le couvercle. D'emblée, songeant au Québec, les autorités canadiennes ont brandi l'étendard de la révolte et clamé leur refus de reconnaître l'indépendance kosovare. Et derrière le gouvernement socialiste de Madrid, obnubilé par la menace des séparatismes basque et catalan, se sont rangés la Grèce, la Roumanie, Chypre et la Slovaquie, sensibles eux aussi aux risques de contagion en provenance des Balkans.

 

   Le plus grave pour les dirigeants de l'Union européenne ne réside pourtant pas dans cette nouvelle preuve de leur humiliante incapacité à parler d'une seule voix sur la scène internationale. Il tient au fait qu'ils ne s'étaient jamais encore heurtés à un tel front international du refus. Ce front, aussi large et diversifié que celui qui s'opposa naguère aux États-Unis à la veille de l'invasion de l’Irak, rassemble rien moins que la Russie, la Chine, l'Inde et même l'Indonésie, le plus grand des États musulmans. Autant de géants qui ont le sentiment d'avoir beaucoup à redouter du précédent kosovar : Tchétchénie pour Moscou, Tibet et Sinkiang pour le régime de Pékin,  Cachemire pour New Delhi, Aceh (nord de Sumatra) et Célèbes pour Djakarta. Et Plusieurs dizaines d'autres États de moindre importance partagent, des inquiétudes analogues.

 

 

L’Europe renvoyé deux siècles en arrière

 

On comprend que le ministre russe des Affaires étrangères, Serguéï Lavrov, ait pu soutenir que cette sécession du Kosovo, souhaitée et patronnée par les Occidentaux, aboutira tôt ou tard « à la destruction du principe du droit international en Europe » et « engendrera une réaction en chaîne dans de nombreuses parties du monde ». Cette fois, pour leur malheur, les quatre principales capitales européennes - Londres, Berlin, Paris, Rome - se trouvent toutes docilement alignées sur Washington qui a joué dans cette question le rôle capital de commandant en che£ En témoigne le scandale qui a secoué la petite Slovénie, actuelle présidente en titre de lUnion européenne, où la presse locale a révélé comment des consignes écrites en faveur de l'indépendance du Kosovo avaient été remises par le secrétaire américain aux Affaires européennes, Daniel Field, au ministère des Affaires étrangères slovène en décembre 2007. Il se confirme amisi qu'avec le réalisme implacable coutumier à leur diplomatie, les États-Unis n'ont cessé d'oeuvrer - sans doute dès la présidence Cliton - à la création de plusieurs États musulmans dans les Balkans dont la Turquie intégrée demain à l'Union européenne aura pour vocation de devenir la puissance tutélaire. Politique destinée à convaincre les dirigeants dAnkara, présents et futurs, que le maintien d'une alliance étroite avec les États-Unis et avec Israël demeure une nécessité vitale et la condition impérative du retour en puissance de l'ancien empire ottoman.

 

  Mais comment s'étonner alors si la Russie de Poutine travaille adroitement de son côté à retrouver son rôle traditionnel de protectrice des peuples slaves face à la poussée de l'islam ? C'est sur Moscou que comptent désormais les Serbes du nord du Kosovo et ceux de Bosnie pour obtenir la partition et le rattachement au régime de Belgrade dont ils rêvent. Troisième Rome championne de l'orthodoxie et du slavisme contre Sublime Porte poussée en sous main par le monde anglo-saxon : comme si tout était destiné à recommencer éternellement, voilà que l'indépendance du Kosovo donne l'impression de ramener l'Europe deux siècles en arrière.

 

 

Un mini-État islamisé et mafieux

 

  Si les jeux de la plupart des acteurs dans cette affaire sont transparents et cohérents, seuls demeurent incompréhensibles les motifs des dirigeants européens.  Qu'ont ils à gagner à l'indépendance d'un misérable pays musulman de 2,2 millions d'âmes (taux de chômage : 45 %) dont plusieurs membres du gouvernement, anciens terroristes de l'UCK à l'image du Premier ministre Hacim lhaci, ont aussi la réputation d'être intimement liés aux grandes organisations mafieuses en plein développement sur notre continent ? Plaque tournante du trafic de drogue en provenance d’Afghanistan, carrefour des réseaux de l'esclavage sexuel en direction des pays les plus niches de l'Union, foyer du trafic d'armes vers les banlieues islamisées de grandes métropoles urbaines, le Kosovo était déjà devenu en quelques années un abcès purulent au flanc de l'Europe. Par sa nouvelle situation, il va voir ses capacités de contamination formidablement accrues. Autant dire qu'il serait surprenant que l'actuel comportement de nos responsables politiques dans cette question du Kosovo ne soit dénoncé un jour comme un modèle de crétinisme politique.  

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