CHAPITRE VIII - L'ENCHAÎNEMENT ET LA LEGENDE RÉVOLUTIONNAIRE (Leon Daudet) Suite

Publié le par Lux

« Quels sont les moyens de terminer la guerre civile ?-De punir les traîtres et les conspirateurs, surtout les députés et les administrateurs coupables ; d'envoyer des troupes patriotes, sous des chefs patriotes, pour réduire les aristocrates de Lyon, de Marseille, de Toulon, de la Vendée, du Jura et de toutes les autres contrées où l'étendard de la rébellion et du royalisme a été ' arboré, et de faire des exemples terribles de tous les scélérats qui ont outragé la liberté et versé le sang des patriotes.

 

« 1° Proscription des écrivains perfides et contre-révolutionnaires ; propagation de bons écrits ; 2° punition des traîtres et des conspirateurs, surtout des députés et des administrateurs coupables ; 3° nomination de généraux patriotes ; destitution et punition des autres ; 40 subsistances et lois populaires. »

 

 

Que devient la liberté dans tout cela? Il est facile de l'imaginer. Quant à la fraternité, l'Incorruptible ne l'étendait pas aux écrivains indépendants. Les libelles et les feuilles publiques avaient largement contribué à soulever la tourmente révolutionnaire. Robespierre, à bon droit, redoutait celle-ci, qui devait l'emporter, à son tour, ainsi que ses amis.

 

Quant à la légende de Danton, qui a eu la vie assez dure, c'est à une conférence d'Albert Mathiez, historien passionné pour la Révolution, faite à Parisite à Paris, au Grand Orient, le 21 mai 1927 et reproduite dans Girondins et Montagnards, qu'il faut recourir pour sa destruction définitive et sans réplique.

 

Voici la conclusion irréfutable de cette page d'Histoire :

 

« Pourquoi aurais-je été animé contre la mémoire de Danton ? A l'âge où je terminais mes études, on lit i élevait des statues. J'ai appris l'histoire, comme vous, dans des livres qui le glorifiaient et ce n'est que peu à peu et que par un travail long et minutieux, que je me suis délivré du monceau d'erreurs qu'on m'avait inculquées. Personne ne croira que c'était là le bon moyen pour favoriser ma carrière que de m'engager dans les sentiers hérissés d'épines que j'ai dû gravir ; mais j'ai cru que la vérité avait des droits, je me suis mis résolument à son service dès que la lumière s'est laite dans mon esprit, et, ce soir, je vous ai dit nia conviia conviction profonde, fondée sur vingt-cinq ans de travaux dont j'attends toujours la réfutation.

 

 

Robespierre et Saint-Just, et tous les contemporains ont bien jugé: ces hommes, dont Danton était le chef, n'étaient que des jouisseurs et des profiteurs sans scrupule, qui mettaient la Révolution et la France en coupe réglée. Ils auraient perdu la République et la Patrie s'ils avaient pu triompher des honnêtes gens.

 

Mais une dernière interrogation viendra peut-être, à l'esprit de quelques-uns d'entre vous ; comment se lait-il, me demanderont-ils, qu'à plus d'un siècle de distance ces jouisseurs sans conscience, si justement condamnés, dites-vous, aient pu tromper des écrivains consciencieux et de bons républicains ?

 

 

D'abord, ces écrivains, que j'ai nommés et qui, pour la pour la plupart, n'étaient pas des érudits rompus aux méthodes scientifiques, ont été trompés par l'apparence rigoureuse du plaidoyer des fils de Danton, dont ils n'ont pas su vérifier les chiffres, ni contrôler les affirmations.

 

Ensuite, ils ont subi l'action personnelle d'un homme qui occupait au ministère de l'Instruction publique une haute situation, d'Arsène Danton, qui lut l'élève de Michelet à l'École normale, qui devint chef de cabinet de Villemain au ministère de Instruction publique, et finit sa carrière comme inspecteur général de l'Université sous Napoléon III. Très fier du nom qu'il portait et de sa parenté éloignée avec le grand tribun révolutionnaire, Arsène Danton mit au service de la réhabilitation une rare ténacité, très bien servie par sa situation au ministère de l'Instruction publique qui est en relations avec tous ceux qui tiennent une plume.

 

 

Enfin, l'école positiviste, par une étrange aberration, s'avisa de se choisir un précurseur dans le jouisseur débraillé des Cordeliers. Ah! qu'il eût été bien surpris de se voir doté de cette progéniture intellectuelle! L'école positiviste, à laquelle appartenaient le Dr Robinet, Pierre Laffitte, Antonin Dubost, a exercé une considérable influence sur la formation de tous les hommes d' État qui ont fondé la troisième République et qui ont pris si souvent la parole dans cette salle.

 

J'ajouterai encore qu'aux environs de 1880 les circonstances étaient favorables pour cette oeuvre de réhabilitation. On sortait du 16 mai, de l'oppression cléricale, on se détachait de Robespierre, qui ne paraissait pas assez zélé contre la religion. On sortait aussi de la guerre de 1870, on n'avait retenu de Danton que les phrases à effet, d'un patriotisme truculent, on le voyait à, travers Gambetta. Enfin, on n'avait vaincu « l'ordre moral » qu'à l'aide de l'union de toutes les forces républicaines étroitement rassemblées; Danton, qui ménagea et qui servit tous les partis, Danton qui tendait constamment la main aux Girondins, apparaissait comme le symbole de l'union républicaine indispensable à la victoire.

 

 

Les historiens, qui sont des hommes, subissent la pression inconsciente des circonstances et du temps où ils vivent. Ils transposent dans le passé de fausses analogies, et cette faute est plus fréquente dans l'histoire la Révolution que dans toute autre, car celle- ci excite davantage les passions des partis, qui vont y chercher des armes pour leurs polémiques.

 

J'ai essayé, en abordant ce problème à mon tour, de m'abstraire de toute considération étrangère à la science. La politique n'a rien à voir avec l'histoire digne de ce nom. Ce n'est pas à la politique que l'histoire doit demander des inspirations ou des confirmations, c'est plutôt le contraire ; c'est l'homme politique, s'il est sincère, qui doit se mettre à l'école de l'historien.

 

 

Un régime représentatif, comme le nôtre, un régime qui n'a de la démocratie que les apparences, ce régime où le peuple, une lois tous les quatre ans, met un bout de papier dans une urne, votant pour des hommes qui, le lendemain, le dédaignent, le méprisent et le trahissent, ce régime prétendu démocratique ne repose que sur l'honnêteté foncière, sur la conscience de ses élus. Si l'élu trahit les électeurs, tout croule. Le suffrage universel est bafoué, puisqu'il n'a pas encore su conquérir le référendum que nos voisins les Suisses pratiquent depuis un demi-siècle.

 

Il n'y a pas, Mesdames et Messieurs, deux honnêtetés, une honnêteté privée négligeable et une honnêteté publique seule indispensable, il n'y en a qu'une. Et si, de l'histoire de Danton, se dégage une leçon, c'est celle- là, souvenez-vous-en. Peut-être n'était-il pas inutile de le rappeler par le temps qui court, mais vous en jugerez.

 

 

« La politique, dit M. Albert Mathiez, n'a rien à voir avec l'Histoire digne de ce nom. Ce n'est pas à la politique que l'Histoire doit demander des inspirations ou des confirmations; c'est plutôt l'homme politique, s'il est sincère, qui doit se mettre à l'école de l'historien. »

 

Ceci est juste en soi. L'Histoire de la Révolution marque le début des Assemblées - Constituante, Législative et Convention - dans la suite des événements. L'élimination du roi et d roi et de ses conseils marque l'élimination de la continuité des desseins gouvernementaux, et l'entrée en scène de la lutte des partis dans la conduite des événements intérieurs ou extérieurs. Grave changement, auquel le Tiers n'était pas plus prêt que ne l'est aujourd'hui la classe ouvrière, qui, vu le suffrage universel et son nombre, prétend à l'hégémonie. Ce manque de préparation expérimentale a amené, après des querelles intestines dont les premiers éléments furent l'ambition personnelle et la cupidité, des scissions et déchirements, coupés de mouvements dictatoriaux, au bénéfice de tel ou tel.

 

L'historien expose les faits. Mais l'homme politique les explique et les interprète. Si le drame de Thermidor est resté si longtemps secret, c'est que le rôle des lois de Ventôse était méconnu et que les visées de Robespierre et de Saint-Just - qui étaient aussi celles de Barère - étaient passées sous silence.

 

De même, dans l'affaire de Valmy, favorable, comme celle de Jemmapes, aux armées révolutionnaires, il n'était pas tenu compte des progrès français de l'artillerie, réalisés par Gribeauval, ministre de Louis XVI et que les alliés n'avaient pas eu le temps de reconnaître et d'estimer à leur juste valeur. Cette supériorité technique allait se maintenir sous Bonaparte, officier d'artillerie, augmenté de vues d'un bon sens génial, en stratégie comme en tactique. L'artillerie était à l'armée française, en 1789-1792, ce que l'aviation et le tank étaient à l'armée française de 1918.

 

Chose remarquable : Danton a depuis longtemps sa statue en bonne place, boulevard Saint-Germain, à Paris. Ni Robespierre ni Marat n'ont la leur.

 

C'est que la démocratie, forme assoupie de la Révolution, si elle n'a pas gardé les réflexes sanguinaires des six années maîtresses, a conservé la lutte des partis telle qu'elle fonctionna dès la Constituante, puis la Législative. Les Girondins étaient, de 1880 à 1910, devenus les opportunistes et les Montagnards s'étaient mués en radicaux. L'anticatholicisme, l'anticléricalisme avaient subsisté (Ferry, Waldeck, Combes) et subsistent encore, à l'état de tisons sous la cendre des jours. La démocratie, la troisième République, n'est pas une rechute, mais c'est une réitération atténuée. Quant au socialisme et à la lutte de classes, dont nous avons pu apprécier, au point de vue national, les effets ce sont des lois des suspects (les riches) et des lois (le Ventôse détrempées. Le programme d'enseignement de Condorcet a été repris par Herriot, dévot de la chère Révolution, et avec les mêmes arguments que ceux employés par Condorcet. Il n'est pas un point du programme de la grande révolution qui n'ait été repris par la démocratie contemporaine et la victoire de 1914-1918 n'a pas arrêté le mouvement.

 

Les derniers apologistes de la Terreur révolutionnaire assurent qu'elle a apporté la liberté au monde. Cette légende devient plaisante si l'on considère l'état actuel de l'Europe 150 ans après 1789. L'Allemagne, la Russie, l'Italie, la Hongrie sont en régime dictatorial. La démocratie parlementaire recule sur tous les points et l'affirmation de pandémocratie que portait naguère Ferrero, l'historien italien, apparaît comme une dérision. Chez nous-mêmes le parlementarisme est en complète déchéance comme le prouve l'établissement des décrets-lois, devenus rapidement pleins pouvoirs. Quand, en août 1914, les armées allemandes marchaient sur Paris, députés et sénateurs fuyaient à Bordeaux, « notre citadelle », disait le pleutre Hanotaux dans la Petite Gironde. Phrase comique et qui demeurera gravée sur sa tombe.

 

Ce que 1789 nous a incontestablement apporté, c'est l'aveuglement politique, l'erreur qui se paie le plus cher. Le romantisme est venu renforcer, sur ce point, la légende révolutionnaire, avec Hugo et Lamartine. Seul des trois grands du XIXe siècle, Baudelaire, vu son puissant esprit critique, a échappé à lit contagion, sauf un moment, en 1848. Mais toute la tournure de son esprit, dans tous les domaines, était, par la suite, carrément réactionnaire.

 

L'erreur profonde des papes qui se rangèrent à la démocratie ou acceptèrent les principes démocratiques fut de ne pas voir, dans ceux-ci, la prolongation manifeste des principes révolutionnaires, ou de la nation la tète en bas. Les peuples succombent par les masses et la doctrine du nombre. Ils se relèvent par les élites et la qualité. Il n'y pas à sortir de là.

 

De la doctrine révolutionnaire est sorti le dogme du progrès, lequel, par voie de conséquence, a donné le dogme de la science toujours bienfaisante, qui a éclairé de son mensonge le XIXe siècle et le début du XXe, J'ai traité la question dans le Stupide XIXe Siècle, mais la guerre européenne et la découverte de l'emploi de l'aviation de bombardement lui donnent, à l'heure où j'écris, une terrible et nouvelle actualité. L'aviation de bombardement, qui n'est encore qu'à ses débuts, menace en effet les grandes agglomérations humaines, ce que Verhaeren appelait les villes tentaculaires, et, avec -elles, les trésors artistiques et les vies précieuses qu'elles renferment. Comme. nous l'a annoncé un esprit perspicace, Alphonse Séché, c'est grâce au progrès mécanique, physique et chimique que nous voici présentement devant la perspective des « guerres d'enfer » et qui, au lieu d'épargner les populations civiles, procéderaient implacablement à leur destruction.

 

Loin de libérer l'homme de sa servitude ancestrale vis-à- vis des masses qui le menacent et l'accablent et qui tiennent au déchaînement de ses pires instincts, la Révolution de 1789 a déifié ceux-ci et rivé la chaîne du fatum. A: la loi morale des Évangiles elle a voulu substituer la loi physique qui ne tient compte que clés appétits, et tenté de codifier ceux-ci dans des textes de loi dérisoires, garantis par une souveraineté populaire, laquelle n'est en somme qu'une illusion. A l'heure où j'écris, le régime des assemblées agonise, au milieu de discours pomelleux transmis, par le « progrès » de la radio, à l'univers et qui ne correspondent plus à rien. l'apogée de leur diffusion coïncide 'ainsi avec le maximum de leur inefficacité et ils n'ont pas plus - le sens que le bruit du vent.

 

Ce qui reste de la Révolution de 1789, tant célébrée, tant vantée, en prose et en vers, c'est un charnier, c' est un spectacle d'épouvante et de bêtise dont l'humanité offre peu d'exemples et dont je n'ai pu tracer en quelques pages, qu'un tableau réduit.

 

Pour tâcher de sauver les débris d'un si hideux naufrage, les idéologues ont imaginé la distinction entre la démocratie et la démagogie, la première étant raisonnable et la seconde une déviation outrancière, distinction dont je veux ici dire quelques mots.

 

La démocratie, ce serait, comme l'étymologie l'indique, le pouvoir légitime du peuple et la démagogie ce serait son abus. Or, il n'y a aucune différence ici entre la première et la seconde, pas plus qu'il n'y a de différence entre 1789 et 1793. La démocratie, c'est la démagogie nantie, repue, et qui digère ses rapines aux accents de la Marseillaise en gorgeant de faveurs et de prébendes ceux qu'elle estime l'avoir bien servie : « Passionnément républicain », messieurs, nous disait à la Chambre le nanti et faussement assagi Aristide Briand, à qui je répliquai, d'une voix retentissante : « je te crois! » Gambetta est parti de la démagogie et du programme de Belleville pour aboutir à la considération de la bonne société et aux salons huppés. C'est l'éternelle ascension par l'escabeau plébéien que l'on rejette aussitôt d'un coup de savate, récemment vernie en escarpin. Sans doute il y a l'exception des illuminés comme Jaurès. Mais elle ne fait que confirmer la règle. Il y a aussi celle des paradoxaux, comme Blanqui, poursuivant avec héroïsme, au prix de leur liberté, une chimère en raison de l'impossibilité de l'atteindre et qui se détacheraient d'elle au moment qu'ils la croiraient réalisable.

 

Le démocrate ne dupe pas le peuple par d'autres moyens que le démagogue. Son langage est moins brutal, mais ses arguments, plus hypocrites, sont les mêmes et il adore les mêmes idoles. Ses moyens de parvenir sont aussi bas. Comme le démagogue, le démocrate ne vit que pour soi, tel le Gnathon de Labruyère, en faisant croire à la foule des déshérités qu'il vit pour elle et ses revendications. L'ignoble farce n'a pas varié depuis Aristophane.

 

Un fait résume tout : la troisième République, qui a valu à la France, par son incurie militaire, une nouvelle invasion d'une durée de quatre ans, a choisi, comme fête nationale, le 14 juillet, début de la barbarie révolutionnaire, et, en fait, de la Terreur.

 

Il résulte de là que le titre de démocrate chrétien est une insanité, puisque la démocratie, c'est-à-dire la Révolution, est l'irréductible ennemie du christianisme dont elle a poursuivi, en France, l'abolition par le clergé assermenté.

Publié dans Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article