REFLEXIONS POLITIQUES.

Publié le par Lux

Chateaubriand.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre premier Cas extraordinaire

 

Décembre 1814.

 

 

Un juge établi sur un tribunal d'après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d'une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme a été justement condamné : il était coupable des plus grands crimes. Mais cet homme avait un frère ; ce frère n'a pas pu et n'a pas dû se dépouiller des sentiments de la nature : ainsi, entre le juge du coupable et le frère de ce coupable, il ne pourra jamais s'établir aucune relation. Le cri du sang a pour toujours séparé ces deux hommes.

 

 

Un juge établi sur un tribunal d'après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d'une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme n'était pas coupable du crime dont on l'accusait ; mais, soit prévarication, soit erreur, le juge a condamné l'innocence. Si cet homme a un frère, ce frère, bien moins encore que dans le premier cas, ne peut jamais communiquer avec le juge.

 

 

Enfin, un homme a condamné un homme à mort : l'homme condamné était innocent ; l'homme qui l'a condamné n'était point son juge naturel ; l'innocent condamné était un roi ; le prétendu juge était son sujet. Toutes les lois des nations, toutes les règles de la justice ont été violées pour commettre le meurtre. Le tribunal, au lieu d'exiger les deux tiers des voix pour prononcer la sentence, a rendu son arrêt à la majorité de quelques voix. Afin d'obtenir cette majorité, on a même été obligé de compter le vote des juges qui avaient prononcé la mort conditionnellement. Le monarque, conduit à l'échafaud, avait un frère. Le juge qui a condamné l'innocent, le sujet qui a immolé son roi, pourra-t-il se présenter aux yeux du frère de ce roi ? S'il ne peut se présenter devant lui, osera-t-il pourtant lui écrire ? S'il lui écrit, sera-ce pour se déclarer criminel, pour lui offrir sa vie en expiation ? Si ce n'est pour dévouer sa tête, c'est du moins pour révéler quelque secret important à la sûreté de l'Etat ! Non : il écrit à ce frère du roi pour se plaindre d'être injustement traité ; il pousse la plainte jusqu'à la menace ; il écrit à ce frère devenu roi, et dont, par conséquent, il est devenu le sujet, pour lui faire l'apologie du régicide, pour lui prouver, par la parole de Dieu et par l'autorité des hommes, qu'il est permis de tuer son roi. Joignant ainsi la théorie à la pratique, il se présente à Louis XVIII comme un homme qui a bien mérité de lui ; il vient lui montrer le corps sanglant de Louis XVI,

 

 

Et sa tête à la main demander son salaire.

 

 

Est-ce au fond d'un cachot, dans l'exaspération du malheur, que cette apologie du régicide est écrite ? L'auteur est en pleine liberté ; il jouit des droits des autres citoyens ; on voit à la tête de son ouvrage l'énumération de ses places et les titres de ses honneurs : places et honneurs dont quelques-uns lui ont été conférés depuis la restauration [ Mémoire au roi, par M. Carnot. (N.d.A.)] . Le roi, sans doute transporté de douleur et d'indignation, a prononcé quelque arrêt terrible ? Le roi a donné sa parole de tout oublier.

 

 

Publié dans Histoire

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