La liberté (Charles Maurras)

Publié le par Lux


La liberté n'est pas au commencement, mais à la fin. Elle n'est pas à la racine, mais aux fleurs et aux fruits de la nature humaine ou pour mieux dire de la vertu humaine. On est plus libre à proportion qu'on est meilleur. Il faut le devenir. Nos hommes ont cru s'attribuer le prix de l'effort par une Déclaration de leurs droits fameuse, en affichant dans leurs mairies et leurs écoles, dans leurs ministères et leurs églises que ce prix s'acquiert sans effort. Mais afficher partout que chacun naît millionnaire vaudrait il à chacun ombre de million ?

Direz vous que c'est un droit à la liberté ? Le droit au million ne serait pas plus vain.


La liberté, principe métaphysique, est une chose : les libertés en sont une autre. La volonté du peuple, somme, des volontés individuelles, est une chose ; la volonté générale, expression de l'intérêt général d'une nation, d'une race, d'un pays, est une autre chose, toute différente.


La liberté du fou s'appelle folie, celle du sot, sottise, celle du bandit, banditisme, celle du traître, trahison, et' ainsi de suite. Dire que les libertés se limitent les unes les autres est tout à fait juste de l'état sauvage ou de l'état d'anarchie : cela signifie simplement que les forts oppriment ou exploitent les faibles tant que les faibles ne se révoltent pas contre les forts et que les victimes éventuelles n'ont pas trouvé un procédé sûr pour canarder et mitrailler à volonté leurs bourreaux. La liberté conçue comme régime ou comme principe, c'est un chaos, généralement douloureux.

Les citoyens qui ont un peu réfléchi ne se laissent donc pas intimider par des effets de mots. Ils définissent la liberté un pouvoir ou une force, force ou pouvoir qui vaut ce que valent ses sujets et son objet. Le ridicule éternel du XVIIIe siècle et du XIXe consiste à prendre la liberté pour une règle ou pour un but quand ce n'est qu'un moyen ou une matière.


La liberté vit dans peu d'hommes.

Qui dit liberté réelle dit autorité. La liberté de tester crée l'autorité du chef de famille. La liberté communale ou provinciale crée le pouvoir réel des autorités sociales qui vivent et résident sur place. La liberté religieuse reconnaît l'autorité des lois spirituelles et de la hiérarchie interne d'une religion. La liberté syndicale et professionnelle consacre l'autorité des disciplines et des règlements à l'intérieur des corporations et compagnies de métier.

Ce sont là des fait observables.

Si, pourtant, au lieu d'observer on rentre en soi pour réfléchir, on s'aperçoit que la nature même de la liberté positive   celle qui n'est pas conçue par rapport à un obstacle à surmonter, celle qui s'exerce et qui vit de source profonde, la liberté, c'est la puissance.

Sociale, elle s'exerce dans la société et elle a pour point d'application non pas le marbre comme le pouvoir d'un sculpteur, ni la machine, comme le pouvoir d'un mécanicien, mais les hommes engagés avec nous dans la vie sociale.

Qu'est ce donc qu'une liberté ? Un pouvoir.

Celui qui ne peut rien du tout n'est pas libre du tout. Celui qui peut médiocrement est médiocrement libre. Celui qui peut infiniment est aussi libre infiniment. Une des formes du pouvoir, c'est la richesse. Une autre de ces formes, c'est l'influence, c'est la force physique, c'est la force intellectuelle et morale. Sur quoi s'exercent diversement ces pouvoirs divers ? Sur des hommes. Et ce pouvoir, à qui appartient il ? A des hommes. Quand une humaine liberté se trouve au plus haut point et qu'elle a rencontré d'humains objets auxquels s'appliquer et s'imposer, quel nom prend elle ? Autorité. Une autorité n'est donc qu'une liberté arrivée à sa perfection.

Loin que l'idée d'autorité contredise l'idée de liberté, elle en est au contraire l'achèvement et le complément. La liberté d'un père de famille est une autorité. La liberté d'une confession religieuse est une autorité. Ce sont encore des autorités que la liberté d'une association, la liberté d'une commune, d'une province déterminées.

Quand on veut que l'État respecte dans l'ordre économique l'initiative privée, on demande, au fond, qu'il respecte ce que Le Play nommait d'un si beau mot : les autorités sociales. Toutes les libertés réelles, définies et pratiques, sont des autorités. La liberté opposée à l'autorité ; la liberté qui consiste à n'être point agi par les autres, mais aussi à ne point les agir , cette liberté neutre n'est pas conciliable avec la nature ni avec l'ordre de la vie.

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