Du gouvernement

Publié le par Lux


Organiser


Je prends s'organiser au sens premier

Organiser soi même, mettre d'abord sa pensée avec sa pensée, savoir où l'on va, sur quels véhicules et par quels chemins.

Organiser signifie différencier. Différencier est le contraire d'égaliser. Une nation se compose de gens qui sont nés ici et non là. Elle implique naissance, hérédité, histoire, passé. Elle constitue une première objection au rêve babélique de l'anarchie.

J'entends dire que pour organiser il faut détruire. Oui, dans l'ordre des faits une fois accomplis. Mais pour entraîner les esprits, pour les induire à réaliser un projet, l'ordre est inverse : il faut organiser avant de détruire et si l'on veut réussir à détruire.

Tel est le sens de la parole attribuée généralement et, je crois, à tort, à Danton : « L'on ne détruit ce que l'on remplace. » Le mot serait digne de ce fonctionnaire de l'ancien régime, l'un des rares esprits politiques de la Révolution. Pour changer ce qui existe, il faut avoir en tète autre chose que le décret d'un gouvernement provisoire et d'un appel au peuple. Les conceptions inconsistantes et mal définies ne poussent jamais à l'action. Tout au moins en imagination l'homme veut du solide et du précis.


Du vice de la discussion


L'art de faire traîner la discussion entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas est le plus élémentaire de tous les arts. Nous l'avons toujours pratiqué, enfants, au collège

  Mais... Alors... Si...

Il suffit des trois petits mots dix fois et vingt fois répétés. Ils répondent à tout, et ils peuvent mener partout. Sans doute, le savoir est outillé pour dissiper un par un ces doutes de mauvaise foi, pour tout remettre dans le bon chemin ou dans le vrai jour. Mais ce travail fastidieux représente une énorme perte de temps, une égale déperdition de forces, sans compter qu'il produit nécessairement au dehors cet ébranlement de la confiance, cet arrêt plus ou moins net des enthousiasmes qui s'élançaient. Telle est l'oeuvre naturelle de la critique, quelle qu'elle soit, quand elle est développée dans les assemblées ou devant des publics nombreux. Il ne faut que quelques secondes pour les émissions de voix destructrices, il faut des heures et des heures pour reconstruire patiemment les vérités particulières les mieux dégagées par les compétences techniques : parfois même les plus robustes vérités de bon sens ne reviennent au jour que lentement et péniblement.

Ah ! C'est alors qu'il serait précieux pour un peuple qu'on puisse « la lui faire à l'influence ». C'est alors que l'autorité morale serait précieuse, celle qui entraîne avant de convaincre, celle qui persuade avant d'argumenter. Elle sauve de l'inertie ou du piétinement qui, dans la lutte politique ou militaire, sont les causes fatales des derniers malheurs.

Voilà pourquoi tous lu maîtres de la science politique, qu'ils aient appartenu à l'école théologique comme Maistre et Bonald, ou à l'école positiviste, comme Comte et ses disciples, circonscrivent la discussion à l'ordre théorique, au domaine de l'élaboration, mais la proscrivent de l'action. il n'y a pas de Religion de la discussion ni de Morale de la discussion, car dès qu'on agit moralement et religieusement, on ne discute plus, on se décide, on risque. Attendre en pareil cas la «certitude » après débat contradictoire, c'est se résigner à périr. Il n'y a pas de Gouvernement de la discussion : gouverner, c'est encore se confier, risquer. Mais ce risque de l'action morale, religieuse ou politique est le risque sage par excellence ; rien n'y serait plus imprudent ni plus irrationnel que de ne pas risquer. Car on risque davantage encore à s'abstenir, à discuter et à délibérer, on risque le plus grave et on risque le pire, puisque l'ennemi est en armes, si l'on n'arme pas contre lui avant lui, le risque que l'on court est celui de tomber désarmé sous ses coups.


Générosité de la puissance


L'amitié véritable de peuple à peuple n'est pas un phénomène sentimental, mais un fait d'ordre élémentaire et primitif attaché à un ordre de besoins quasiment physiques. Un peuple puissant s'attache d'autres peuples par les marques tangibles de l'amitié en leur faisant part de ce qu'il a, en les faisant participer de l'utile et agréable rayonnement de ce qu'il est.

Pour répandre le bien autour de soi, il faut donc premièrement être avec plénitude, et n'avoir consenti aucun rabais sur le chapitre de l'honneur. Il faut, secondement, posséder, prendre, tenir, si l'on veut donner, et cela suppose un ferme usage de la force, le rendement de cette force, et de judicieuses et généreuses distributions de son produit.

Refrain : on ne fait de bien autour de soi qu'en faisant tout d'abord en soi de la force. Travaille, agis, gagne, produis : ni les clients ni les pauvres ne quitteront ton seuil en te montrant le poing. Étends toi comme un gueux au soleil ou à la pluie, dans le rêve inerte de ton destin : ce bien improductif n'excitera qu'envie, jalousie, haine dangereuse et tu te mettras en danger si tu perpétues ce spectacle d'inaction et de demi gêne. Il montrera publiquement que tu ne peux être d'aucun secours a qui que ce soit. Ne serait ce que pour être généreux, Peuple français, applique toi à être fort.


L'action


On compose, on transige quand on a par ailleurs des sûretés.

On manoeuvre autour d'un pivot ferme et fort.

Mais, lorsque tout est à conquérir dans un milieu où tout se déplace, se transforme, se perd avec une rapidité inouïe, une seule méthode est recommandable parce qu'elle est seule forte et elle consiste à être soi même, pleinement, intégralement, à s'organiser puissamment, à attirer à soi toutes les ressources et tous les moyens que l'on peut honnêtement espérer et, ainsi armé et doté, à marcher, à courir, le plus rapidement possible, droit devant soi, hardiment, inflexiblement : tout ce qui ne meurt pas, tout ce qui n'entre pas en dissolution est voué, par la loi même de la nature, à s'agréger tôt ou tard à ce noyau dont la croissance est régulière et qui progresse vers un but bien en vue, d'un mouvement rectiligne et accéléré.


Connaissance et utilisation de l'intérêt


Dans l'immense majorité des êtres, l'intérêt personnel est le nerf de l'action privée. On ne produirait pas, on ne s'ingénierait pas à varier les modes de la production, de manière à obtenir le plus grand rendement avec le moindre effort, si l'aiguillon de l'intérêt n'y contraignait pas. Cet intérêt peut être égoïste, comme il peut être collectif. Il peut s'exercer au nom d'un homme seul, comme il peut agir au nom d'une famille ou d'une association : il s'exerce toujours aux mêmes conditions, par l'intermédiaire d'un cerveau et d'un coeur d'homme engagé dans la gestion de cet intérêt, récompensé par le succès et châtié par le revers, en un mot fortement, profondément, personnellement responsable.


Avec un État fort et des Associations puissantes, le rêve de Mirabeau pourrait se réaliser, ce rêve " où le législateur se contenterait de parler à l'intérêt individuel, de lui fournir les moyens de s'exercer, et de le diriger invinciblement vers l'intérêt général, pour le plus grand bien de tous les ressorts politiques ». En d'autres termes, selon le voeu d'Auguste Comte, un tel régime pourrait « appeler les impulsions personnelles au secours des affections sociales », en accordant aux particuliers tentés les libertés favorables au bien public.


«  L'intérêt général est la somme des intérêts particuliers. »Prenez le contre pied de cette sottise : dites que l'intérêt général est une soustraction faite aux intérêts particuliers et vous vous rapprocherez de la vérité.

Cette soustraction ne se fait pas spontanément mais d'autorité. Les particuliers y consentent lorsque l'opération est faite ou qu'ils se voient contraints de la laisser faire. Un très petit nombre est capable d'apercevoir l'utilité des sacrifices consentis par les particuliers à l'État ; un plus petit nombre encore voit les dangers des sacrifices consentis par l'État aux particuliers.

Je ne crois, certes pas, que l'intérêt mène le monde, et je crois plutôt qu'il l'immobilise et le perd, mais il est évident que les atomes particuliers et particularistes dont se composent les masses du monde sont facilement entraînés dans la direction de leurs intérêts.

Le désintéressement agit peu à l'état pur, sauf en quelques héros. L'intérêt pur guide souvent fort mal. L'art véritable du politique est de savoir discerner le point par lequel peuvent coïncider la passion et le devoir, l'intérêt privé et l'intérêt national.


L'argent


La richesse est un bien, sa concentration est une force, mais cette force se disperse et se dissout aux mains de l'individu qui en devient la simple dupe, dupe des choses matérielles, dupe de l'idée de profit quand il le convertit en prétendues satisfactions personnelles qui, de la première à la dernière, ne peuvent que tromper.

Quelque déguisement qu'il emploie, l'Argent est trop prétentieux, trop vaniteux, trop ambitieux de tout avoir pour qu'il soit possible de le méconnaître.

Pire encore que celui de la multitude et du Nombre qui, inerte et absurde, peut avoir de la fibre humaine, le gouvernement de l'Argent crée la déraison et le crime.

L'Argent rend de beaux services, quand il tient, comme les autres forces humaines, sa place de grand serviteur. Au-delà, au dessus, il ne peut que détruire.


Souveraineté


Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c'est, au contraire, à ce principe là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général.


Nous ne croyons pas à la souveraineté du peuple. Nous n'y croyons pas parce qu'elle n'existe pas. Quand on la proclame, cela veut dire qu'il n'y a plus de souverain réel et que les fonctions souveraines sont désormais exercées par n'importe qui, par le premier venu, ou par le dernier, et surtout par personne : les affaires d'État sont livrées au hasard des hasards ou tombent en pleine carence.


Le grand honneur de reconnaître et d'expier doit être réservé au type de gouvernement où la souveraineté est concentrée dans l'âme unique et dans la personne vive d'un homme.

Le myriapode démocratique a la vie trop diffuse et le sens trop obtus pour entrevoir même le principe des grandes obligations politiques. Ni il ne les observe, ni il ne les viole, et non plus que les bêtes, à vrai dire, il ne pèche.


L'opinion


Où l'opinion gouverne, la spontanéité gouvernementale n'a même plus de centre, d'organe ni de lieu : athénien, polonais, français, l'État ne peut plus que flotter comme un bouchon de liège, sinon rouler comme une boule de billard. Toutefois, si l'indépendance et l'initiative tombent ainsi à rien, cela n'annonce pas du tout la fin du mouvement et des tribulations : au contraire ! L'activité que nous n'avons plus, on nous l'imprime ; si nous ne marchons pas, on nous fait marcher.


Il ne s'agit pas de savoir l'opinion des neuf dixièmes des Français sur les conditions du salut public, mais bien qu'elles sont les conditions réelles de ce salut. Ne fût on, à connaître ces conditions, qu'un seul contre 38 millions, on aurait raison de les proposer, de les soutenir, de plaider pour elles, de travailler à les faire prévaloir sur l'avis des autres, par tous les moyens qui se présenteront.


Quand on prend l'opinion courante pour arbitre, on l'engage dans la plus terrible des voies.

Aujourd'hui elle veut vivre, demain elle voudra mourir. Vous ne changerez pas la nature de l'homme, mais vous aurez détruit les sages précautions que les sociétés civilisées ont prises contre ces causes de mort.


J'écris fort tranquillement qu'un Prince qui se croira la créature de l'opinion ne pourra pas remplir la plus difficile partie de la fonction royale, qui est d'éclairer et de diriger l'opinion au lieu de la suivre, c'est à dire de la contredire parfois quand le salut publie le veut. A la fin du XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution, rien n'égalait l'impopularité de l'Autriche en des milieux français qui se croyaient « bien informés ». Toute l'histoire subséquente établit pourtant que la Monarchie et ses ministres, et leur système du renversement des alliances, avaient raison contre l'opinion la plus puissante et la plus répandue.

Il importe que le Prince sache et sente qu'il ne dépend pas de l'opinion, qu'il n'a pas été créé par elle, qu'il ne tient pas d'elle ses droits.


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